
Entrevue accordée par la présidente de la FMRQ, Dre Jessica Ruel-Laliberté
Article publié le 18 février 2022 dans Profession Santé
Médecine familiale : l'ajout éventuel d'une troisième année de résidence inquiète la FMRQ
Par Justine Montminy
Si le CMFC recommande fortement l’ajout d’une troisième année obligatoire de résidence en médecine familiale, la FMRQ s’inquiète des conséquences que pourrait avoir ce changement au Québec.
Le Collège des médecins de famille du Canada (CMFC) recommande fortement que la durée des programmes de résidence en médecine familiale passe de deux à trois ans. Selon lui, en raison de la population vieillissante et des comorbidités plus complexes, les résidents ne se sentent pas toujours suffisamment outillés à la fin de leur résidence.
Un avis que ne partage pas la présidente de la FMRQ. La Dre Jessica Ruel-Laliberté estime en effet que les résidents en médecine familiale au Québec se sentent prêts à pratiquer après leur deuxième année.
En 2020, la FMRQ a mené une enquête auprès de ses membres, des unités de médecine familiale (UMF) et des directions de programme de médecine familiale sur le niveau de préparation des médecins résidents à la pratique.
Dans le sondage réalisé auprès des résidents en médecine familiale, on avait évoqué l'ajout d'une troisième année de résidence: 51% y étaient opposés et 49% y étaient favorables. «Il peut sembler y avoir une division au sein de nos membres, mais si on segmente les résultats, on voit que les résidents en fin de parcours en deuxième année ont majoritairement voté contre alors qu’ils sont plus confiants en leur capacité qu’en première année de résidence», précise la Dre Ruel-Laliberté.
Les directions de programme étaient aussi majoritairement contre l’ajout d'une année obligatoire (plus de 62,5%).
Autre constat intéressant: les UMF ont affirmé qu’elles considèrent que leurs résidents se sentent en confiance à l’idée d’entrer en pratique.
La formation prolongée demandée par le CMFC permettrait de mettre davantage l’accent sur les soins à domicile et de longue durée, les soins palliatifs, la santé autochtone, les soins en santé mentale et en toxicomanie, les soins virtuels et les soins culturellement sécuritaires et antiracistes, notamment.
Avec cette approche, le CMFC souhaite ainsi s’assurer que les populations vulnérables partout au Canada aient accès à des soins.
Une fois de plus, la FMRQ ne croit pas que la province de Québec profiterait de cette formation élargie en partie grâce à son système de PREM, qui s’assure déjà que les résidents en médecine familiale soient dispersés équitablement dans l’ensemble de la province.
De plus, ajouter une troisième année obligatoire en résidence de médecine familiale signifierait ajouter 500 étudiants de plus en UMF. «Il n’y a pas de place pour cela», critique-t-elle.
Une plus grande flexibilité de stage demandée
Au lieu d’ajouter une troisième année, la FMRQ croit qu'il serait plus pertinent d'offrir une plus grande flexibilité de stage à options pendant la résidence.
«Après avoir appliqué en GMF, les médecins résidents auraient une meilleure idée du profil de pratique qu’ils auront. Ils pourraient alors avoir quelques mois de stages optionnels à la fin de la résidence en fonction du poste qu’ils auront», propose la Dre Ruel-Laliberté. Ces stages seraient seulement d’une durée d'un à trois mois, pas plus, et seraient orientés vers la future pratique du médecin, précise-t-elle.
Pénurie de médecins de famille
Si la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) ne s’oppose pas entièrement à l’ajout d’une troisième année en résidence de médecine familiale, elle est consciente des enjeux que cela provoquerait.
«Dans le contexte actuel où nous sommes confrontés à une sévère pénurie de médecins de famille, où le quart des omnipraticiens en exercice ont plus de 60 ans et où les besoins s’accentuent constamment, l’impact d’un allongement de la résidence nous inquiète énormément», a partagé Jean-Pierre Dion, porte-parole de la FMOQ.
Cela signifierait aussi qu’il n’y aurait pas de nouveaux médecins de famille lors de la première année où aurait lieu l'allongement de la résidence. Une situation que le Québec ne peut pas se permettre, croit la Dre Ruel-Laliberté.
La médecin croit aussi que cette troisième année pourrait rebuter certains étudiants à choisir de se spécialiser en médecine familiale. «Nous faisons déjà beaucoup d’efforts pour rendre le programme de médecine familiale attrayant. Avoir une formation plus longue pourrait nuire à l’attractivité», craint-elle.
Par ailleurs, «que se passerait-il avec les médecins de famille qui choisissent de faire une troisième année en médecine d’urgence, par exemple? Ils devront désormais faire une résidence de quatre ans? L’écart devient alors très petit avec les programmes de résidence en médecine spécialisée…» souligne-t-elle.
Qu'arriverait-il si le Québec refusait d’ajouter cette troisième année de formation obligatoire alors que les autres provinces canadiennes décidaient d'aller de l'avant? Difficile de le dire avec certitude, mais cela pourrait rendre cela plus ardu pour les médecins de famille du Québec de pratiquer dans les autres provinces, par exemple. Il en irait de même pour l’accès à l’examen final du CMFC, nécessaire à la pratique de la médecine familiale.
«Les différentes discussions que nous aurons au sein des provinces et avec le CMFC permettront de clarifier ce flou. Ce qui est certain néanmoins, c’est que nous ne croyons pas que l’ajout d’une troisième année réponde aux besoins du Québec», déplore la Dre Ruel-Laliberté.